Une loi oblige désormais les grandes surfaces à donner leurs invendus à des associations caritatives. Quelles conséquences pour les français ?

Cette semaine, c’est la création de l’entreprise Rédactibio. C’est le premier article sur le blog. C’est aussi cette semaine que les députés ont voté une loi obligeant les grandes surfaces à donner les produits alimentaires invendus. En France, pays dit développé, il faut une loi pour obliger les gens à donner ce dont ils n’ont plus besoin. Lors de mon séjour au Malawi, il y a une dizaine d’années, tous les supermarchés donnaient déjà les produits périmés aux associations caritatives. Passons, et intéressons nous plutôt à cette nouvelle loi : comment en est-on arrivé à cette nécessité ? Quelles améliorations apporte-t-elle et que peut-on réellement en attendre ?

Gaspillage alimentaire : bénéfice social, environnemental ou commercial ?

Dons alimentaires : une loi pourquoi ?

Selon l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un tiers de la nourriture produite pour les humains est perdue. Il est intéressant de noter que dans les pays en voie de développement, plus de 40 % des pertes se font au moment de la récolte et de la transformation des produits, alors que dans nos pays développés, plus de 40 % du gaspillage se fait chez les détaillants, ainsi que chez le consommateur final. En ce sens, il peut donc être utile de sensibiliser la population -ce qui a été fait jusqu’à présent-, ainsi que les revendeurs.

En France, chaque supermarché jette 10 à 20 kg par jour. Et chaque foyer 20 à 30 kg par année, dont 7 seraient encore emballés. Cela représente, pour une famille moyenne, 400 euros mis à la poubelle !

« Voir de l’eau de Javel déversée sur les poubelles des grandes surfaces avec des aliments consommables, ça scandalise »  G. Garot, député à l’origine de la loi sur les invendus alimentaires.

2014 était l’année européenne de lutte contre le gaspillage alimentaire. L’Etat français s’est alors fixé comme but de diviser par deux la quantité d’aliments gaspillés. Suite à une campagne publicitaire et différents projets, une loi a été votée ce jeudi 21 mai. Elle met en place différentes pistes afin de réduire le gaspillage alimentaire dans les grandes surfaces, qui représente 5 % du gâchis en France.

Finie la destruction de denrées alimentaires

La loi oblige désormais les grandes surfaces à éviter le gaspillage, ou à revaloriser les pertes. Les invendus alimentaires ne pourront plus être détruits, notamment en versant dessus de l’eau de javel. Certaines personnes y voient une victoire, prétendant que ceux obligés de fouiller dans les poubelles pour se nourrir auront maintenant retrouvé leur dignité… Si un produit mangeable se retrouve dans une poubelle à l’arrière de la boutique, et pas sur un étal devant, je crois que le gérant y a perdu sa dignité.

Pourquoi rendre un produit inutilisable si on sait qu’on ne pourra pas le vendre ? S’il est perdu pour le magasin, pourquoi le serait-il pour tous ? Je suis prête à parier que quelques aliments donnés pourraient rapporter énormément à l’entreprise. Le calcul est vite fait. Le produit a coûté à l’achat, mais ne pourra pas rapporter de bénéfices. Il est dans tous les cas perdu pour le magasin. S’il est donné, il incite doublement les gens à venir faire leurs courses dans cette enseigne. Premièrement, le client espère avoir un produit gratuit. C’est le principe des promotions. Deuxièmement, si le magasin est réputé pour donner ses produits aux démunis locaux, le chaland aura le sentiment d’aider ces personnes en faisant ses courses. Avec un peu de communication sur cette opération, les retombées seront importantes, en terme de visites et d’augmentation du panier moyen. On peut aussi utiliser les produits invendables comme prime pour un certain montant d’achats. Je suis prête à parier que des aliments perdus pour l’entreprise pourraient lui rapporter gros, avec un peu d’ingéniosité et de bonne volonté. Combien d’entre vous le feront ?

Si les supermarchés refusent de donner leurs denrées alimentaires non vendables, la loi prévoit une amende de 450 euros maximum. La première version en prévoyait une de 75 000 euros et 2 ans d’emprisonnement. Bien que je ne pense pas qu’il faille emprisonner quelqu’un si celui-ci refuse de donner, une amende de 450 euros me parait un peu faible au vu des bénéfices engendrés. Et pas très dissuasive.

L’obligation d’établir une convention avec une association humanitaire pour la redistribution des denrées ne concerne que les enseignes de plus de 400 mètres carrés. Qui plus est, les grandes surfaces n’ont l’obligation que de donner les aliments, en aucun cas de les livrer aux associations. La seule différence avec la situation antérieure est que les invendus ne seront plus placés dans la poubelle mais dans le camion de l’asso.

Gaspillage alimentaire : bénéfice social, environnemental ou commercial ? #2

Loi sur les produits alimentaires : pas forcément donnant-donnant

La loi prévoit que les produits alimentaires puissent être utilisées à d’autres fins que les dons à des associations. Ils pourraient ainsi être transformés pour l’alimentation animale, pour l’agriculture en compost ou pour la méthanisation.

L’alimentation animale provient principalement de viandes périmées, vendues moins chères. De nombreux supermarchés le font déjà, ce qui leur permet d’éviter des pertes financières au rayon boucherie.

L’utilisation de fruits et légumes en compost me parait plus compliquée à mettre en place. Y-a-t’il vraiment un débouché financièrement intéressant pour les grandes surfaces ? Cela dit, si la loi permet une augmentation de l’utilisation de compost dans l’agriculture, c’est un vrai pas en avant. En effet, plus de compost veut dire moins d’engrais chimiques. Les agriculteurs pourront alors polluer moins sans forcément diminuer leur rentabilité, qui est le nerf de la guerre en agriculture conventionnelle.

L’utilisation de déchets alimentaires pour la production de méthane est quant à elle clairement rentable pour la grande distribution. Avec un peu d’organisation, la revente des invendus alimentaires à des fins de production énergétique peut être très lucrative. On peut donc s’attendre à une explosion des créations de méthaniseurs. Et c’est bien là le but de cette loi. Pour rappel, une unité de méthanisation de gaz -de son petit nom- transforme des produits végétaux (le plus souvent impropres à la consommation, comme du marc de pommes ou des légumes fanés) et des déjections animales en gaz. C’est donc une façon de produire de l’énergie à partir de ressources précédemment non valorisées.

Profusion à table

Se pose alors la question de fond : pourquoi une telle quantité de nourriture est-elle produite ? Si plusieurs kilos de nourriture sont mis à la poubelle chaque jour dans chaque enseigne de France, c’est que cette quantité a été acheté. Et également produite.

Pour l’année 2011, le montant de la PAC (Politique Agricole Commune, aide apportée aux agriculteurs) approchait les 55 miliards d’euros. Cette aide, ainsi que toutes les subventions attribuées aux exploitants, ont pour but de les inciter à produire plus, toujours plus. Sans que jamais personne ne se demande si une telle quantité pourra être vendue. C’est pourtant la base du commerce. Et ce stock de nourriture, une fois produit, ne peut apparement pas être en totalité écoulé, en vu des tonnes détruites chaque jour en supermarchés. Alors pourquoi vouloir faire produire encore et toujours pour un marché saturé ?

La première conséquence de cette politique est la diminution du prix d’achat des aliments aux agriculteurs. Et comme ils ont beaucoup de produits à vendre, ils sont plus ou moins obligés de passer par la grande distribution. Qui leur impose un prix d’achat dérisoire, mais qu’ils sont encore une fois obligés d’accepter (à moins de quitter une optique productiviste, en passant en agriculture biologique par exemple, mais c’est une autre histoire…). Les primes agricoles apportent donc plus aux grandes surfaces qu’aux exploitants agricoles.

Aujourd’hui, les produits non vendus en grandes surfaces pourront être revalorisés via la production d’énergie, l’alimentation animale ou le compost. Les supermarchés pourront alors se permettre de mettre en vente encore plus de produits périssables, car ils les rentabiliseront de toutes façons. Ainsi, on voit que la nouvelle loi n’a pas que du positif, et peut être très rentable pour les grandes surfaces.

Gaspillage alimentaire : bénéfice social, environnemental ou commercial ? #3

Vers une évolution de la consommation ?

Enfin, de nombreuses associations humanitaires ne possèdent pas la logistique pour stocker de grandes quantités de produits périssables, et n’ont pas les moyens d’investir dans des camions réfrigérés, des congélateurs, etc. On peut donc supposer qu’elles redistribueront les denrées le soir même. Nous nous rapprochons ici un peu plus du circuit court prôné par l’agriculture biologique.

Ces nouvelles pratiques permettront peut-être l’émergence d’un nouveau mode de consommation des biens périssables. Où l’on n’assistera plus à la destruction systématique de denrées alimentaires encore utilisables alors qu’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté.

En outre, on peut se demander si les consommateurs, derniers maillons de la chaîne, ne vont pas se mettre à réfléchir à la façon dont ils consomment. Car c’est eux qui, avec leurs porte-monnaie, d’un côté paient la note pour les invendus, mais d’un autre décident ce qu’ils veulent voir dans les étals. Et combien ils veulent y voir. La balle est dans leur camp. Qui plus est, la part des ménages dans le gaspillage alimentaire n’est pas négligeable. Et représente, on l’a vu, plusieurs centaines d’euros par an. Mais ceci n’est pas irrémédiable.

Les 7 conseils de la FAO pour éviter le gaspillage alimentaire

  1. Faites une liste de course. Si vous faites partie du tiers des personnes qui font leurs courses sans liste, pas de panique. Planifiez à l’avance ce que vous allez manger la semaine prochaine, vous trouverez sur internet de nombreuses recettes pour vous inspirer. Notez sur une liste les repas que vous avez prévu et chaque ingrédient avec la quantité nécessaire. De plus en plus de magasins mettent à disposition une balance, servez-vous en. N’hésitez pas à reposer ce dont vous n’avez pas besoin.En outre, une liste de course vous permet d’éviter les achats impulsifs. Finies alors les notes de supermarchés interminables. Votre porte-monnaie ne s’en portera que mieux.Faites vos courses de manière adaptée au nombre de personne(s) sous votre toit : on n’achète pas la même quantité si on est célibataire ou parent de cinq enfants. Adaptez aussi vos courses à votre mode d’alimentation. Si vous n’aimez pas cuisiner ou disposez de peu de temps, n’achetez pas pléthore d’aliments qui doivent être cuisinés
  2. Ne jugez pas à la tête ! Et oui, ce qu’on vous a répété toute votre enfance s’applique aussi aux fruits et légumes. Ne les jugez pas à leur aspect esthétique. Un fruit trop petit, trop gros, déformé ou tacheté est aussi goûteux que son voisin sur l’étagère. Une grande quantité de denrées alimentaires sont perdues car elles sont jugées invendables. C’est donc à nous, consommateurs, de renverser la balance.C’est en partant de ce constat que la chaîne de supermarché Intermarché avait lancé une opération de vente de « fruits et légumes moches ». L’initiative était de vendre des produits déclassés à un prix moindre. Même si elle semble avoir été de courte durée, on peut saluer cette source d’inspiration
  3. Utilisez correctement votre frigo. Petit rappel : les fruits et légumes se conservent dans le bas du réfrigérateur, entre 1 et 5 °C. Ainsi vos courses auront une durée de vie plus longue, et vous moins de pertes
  4. Pensez au PEPS, Premier Entré Premier Sorti. Consommez vos denrées dans l’ordre d’achat, les plus vieux en premier. Placez vos dernières courses dans le fond de votre frigo, et les légumes les plus anciens devant
  5. Comprenez les dates de limites de consommation (DLC). Placées sur l’emballage par le fabricant, elles ont un rôle d’indication, pas de loi. Une de leur raison d’être est de vous pousser à consommer plus. Réfléchissez donc plus en fonction du produit que de la date. Vous pouvez peut-être en consommer certains même si celle-ci est dépassée. Quant aux Dates Limite d’Utilisation Optimales (ou DLUO), elles se trouvent sur des produits qui ne se périment pas. N’ayez donc plus de soucis de ce côté là. Un produit avec une DLUO dépassée peut avoir une apparence extérieure modifiée, mais toujours le même goût
  6. Mangez vos restes. Si jamais vous avez trop cuisiné, ne jetez pas la fin du plat. Réutilisez-le pour le repas suivant. Des pâtes ou du riz s’accommodent très bien avec de la sauce tomate, des légumes peuvent se transformer en soupe. Une soupe peut être rallongée avec des lentilles, ou le reste de rôti. Si vous n’êtes pas inspiré ou n’avez pas le temps de cuisiner, vous pouvez aussi congeler vos restes. Certaines personnes en profitent et font un repas par semaine grâce aux restes. Pas besoin de réfléchir à ce que l’on va manger et juste besoin de décongeler : c’est tout bénéf !
  7. Nourrissez vos plantes et compostez. Utilisez vos déchets alimentaires (épluchures de légumes, trognons de pommes, coquilles d’œufs…) afin de créer du compost. Vous pouvez avoir votre propre composteur, certains modèles se mettent à l’intérieur et prennent peu de place, d’autres s’utilisent en extérieur. Et d’ici quelques mois, récoltez votre humus afin d’enrichir le sol de votre potager ou de vos plantes en pots. De plus en plus de communes mettent un composteur avec les poubelles recyclables. Si la votre n’en propose pas encore, demandez-en un. Cela permet de diminuer la quantité de déchets produits, et de diminuer d’autant votre taxe d’ordures ménagères

Et vous, quelles sont vos techniques anti-gâchis ? N’hésitez pas à répondre en commentaire.

La loi du 21 mai 2015 sur le gaspillage alimentaire ne concerne que la grande distribution, qui représente seulement 5 % des pertes alimentaires. Elle oblige les plus grandes surfaces à faire don des denrées non vendables à des associations, puis à utiliser ces denrées à des fin d’alimentation animale, de revalorisation énergétique ou de compost. Toutes ces mesures sont positives au niveau social et environnemental. Mais la question reste : est-ce-que ces mesures ne vont pas aussi servir à enrichir encore plus les grandes enseignes, en leur permettant de tirer profit de produits jusque là moins valorisés ?

En attendant d’avoir assez de recul par rapport à ces mesures, qui semblent somme toute être positives dans l’ensemble, nous pouvons nous aussi être acteur de la lutte anti gaspillage alimentaire. Si les mesures proposées par l’Organisation des Nations Unies sont intéressantes, il en existe beaucoup d’autres que nous pouvons appliquer facilement tous les jours.

Que pensez-vous de cette loi ? Et quelles sont vos méthodes personnelles afin d’éviter que des produits alimentaires ne se retrouvent à la poubelle ?